Comment empêcher les émotions de gouverner notre vie
Par David Cain
Traduit par Hélios
La pire période de ma vie s'est achevée peu après une découverte fondamentale : la plupart de mes expériences désagréables venaient directement de mon besoin désespéré de les éviter.
J'avais des problèmes scolaires à l'époque. J'étais un mauvais élève parce que j'évitais de demander de l'aide ou de revenir sur des concepts que je n'avais pas saisis la première fois. J'évitais ces choses précisément parce qu'elles me donnaient le sentiment que j'étais mauvais élève.
C'était une stratégie parfaitement défaitiste, mais je ne l'ai compris que bien plus tard.
J'avais malencontreusement vécu certaines expériences émotionnelles – celle en particulier de me sentir incompétent – qui se révélèrent si inacceptables que je faisais tout pour les éviter, ce qui explique précisément pourquoi elles continuaient de dominer ma vie.
C'est en découvrant un principe simple, décrit parfois comme "thérapie d'exposition", que le déclic s'est produit. On fait l'expérience, par petits bouts, de s'autoriser à ressentir les choses dont on a peur et on les observe perdre leur pouvoir sur soi.
Nous mentalisons nos ressentis pour ne pas avoir à les vivre
J'étais un cas particulièrement difficile, mais c'est le cas de nous tous dans une certaine mesure. Nous aggravons certaines émotions en essayant de ne jamais les ressentir. Les effets feront boule de neige jusqu'à en devenir handicapants.
Éviter désespérément l'expérience de l'humiliation, par exemple, entraîne des habitudes d'extrême timidité. Ce qui ne fait que stigmatiser encore plus l'humiliation en entravant les occasions de la vie en société qui pourraient la prévenir ou l'atténuer. La timidité semble, au premier abord, une défense raisonnable contre l'humiliation, mais elle finit par devenir une présence fantomatique qui contrôle la vie.
La fuite possède la vertu de mettre en valeur la chose que vous évitez. Nous souffrons aussi de ces retombées d'une manière plus subtile. De nos jours, avec des divertissements si rapidement à notre portée, nous sommes devenus entièrement hostiles à la sensation d'ennui. Nous nous indignons contre les retards et les bugs techniques bien plus que ne le faisaient nos parents et nos grand-parents. Nous sortons nos téléphones dix fois par jour et l'anxiété nous gagne si la batterie donne des signes de faiblesse. Comme nous évitons de nous exposer à l'ennui, il n'en devient que plus douloureux que jamais et nous sommes toujours plus demandeurs des moyens de le repousser.
Toute expérience qui sort de l'ordinaire a tendance à nous déstabiliser davantage. Un habitant de Floride qui vient d'emménager à New-York sera plus sujet aux rhumes qu'un natif new-yorkais.
À quoi sert pourtant de rechercher des expériences difficiles que nous pouvons à coup sûr éviter ? En évitant les effets secondaires, nous serons moins prêts à gérer avec grâce toute expérience. Mais cela n'a vraiment aucune importance si nous sommes en position de ne jamais les laisser se produire.
La stratégie de l'évitement à tout prix travaille malgré tout contre nous quand il s'agit de ressentis bien humains inévitables comme le doute, la gêne, la peur et la déception. Ce sont des expériences universelles récurrentes. Aucun de nous ne sera libre de ces ressentis, qu'on le veuille ou non, et l'un ou l'autre prendra donc le contrôle de votre vie jusqu'à ce qu'on réalise que c'est une expérience complètement inacceptable.
Quand ce type de ressenti se manifeste, au lieu de nous autoriser à le vivre, nous faisons souvent un dernier effort désespéré pour éviter l'expérience : on se "prend la tête" afin de savoir pourquoi nous ne devrions pas avoir à le vivre.
Le mental élabore des arguments sur le fait que ce ressenti n'aurait pas dû se produire. Si vous ressentez du doute ou de la colère ou de l'embarras, quelque chose a dû dérailler dans l'univers. Le mental commence à chercher le responsable, ce que untel aurait dû faire, que vous ne comprenez jamais rien à ce qui se passe, que le monde a été corrompu par les corporations ou des gens mauvais – toutes sortes d'explications confortant le fait que vous ne devriez pas faire l'expérience de ces ressentis.
Nous agissons apparemment ainsi pour résoudre nos problèmes, identifier les parties incriminées et décider de notre réponse. Mais si vous examinez ce genre de rumination, il est évident que ce qui nous anime n'est pas de comprendre quoi faire ensuite, mais de défendre l'idée que cette récente expérience émotionnelle déplaisante n'aurait pas dû se produire du tout.
Si pourtant vous ne cédez pas à cette tentation de laisser le ressenti s'exprimer en jouant à la place un coup brillant, vous pourriez découvrir quelque chose de surprenant : qu'un ressenti désagréable a tendance à perdre de sa virulence sitôt qu'on décide qu'il n'y a nul besoin de l'éviter. Il ne persiste pas bien longtemps à partir du moment où il ne trouve pas de répondant.
En quoi consiste la liberté
Je suis convaincu aujourd'hui que la plupart des barrières de notre vie personnelle proviennent de l'habitude absurde consistant à ne jamais vouloir vivre certains ressentis normaux inévitables. Notre insistance à vouloir nous prémunir complètement de certaines émotions indésirables ne les rend que plus déstabilisantes quand elles nous assaillent.
Tenter de vivre à l'abri de nos émotions les moins appréciées est la parfaite recette d'un comportement névrotique et addictif. Je me suis imposé au collège la règle inapplicable de ne jamais avoir à expérimenter de la gêne et elle n'a fait de ma vie qu'une constante source de gêne.
Si nous acceptons de bonne grâce de vivre la gamme complète des émotions propres à l'homme, nous nous en libérons graduellement. C'est vraiment une question propre à susciter de la curiosité plutôt que de la combativité envers les aspects les moins sympathiques de l'expérience humaine.
L'incertitude, par exemple, n'est apprécié de personne, mais vous êtes bien plus libre si vous savez comment le gérer avec de la bonne volonté.
Voilà pourquoi je me ferai l'avocat de la méditation jusqu'à mon dernier souffle. Cela revient essentiellement à se préserver chaque jour un petit moment à soi pour simplement aller à la rencontre de ses ressentis quels qu'ils soient.
Vous n'avez qu'à vous asseoir confortablement en notant ce que vous ressentez quand vous êtes assis au calme. Oubliez, pour un bref moment, votre impossible mission de toujours ressentir les choses d'une certaine façon.
Ces séances sont souvent très plaisantes. Mais au fil du temps, vous ferez face à toutes les expériences les moins populaires : l'ennui, la nervosité, l'agacement, l'impatience, la fatigue, la sensation d'avoir trop chaud ou trop froid, d'être moite, l'envie irrésistible de manger des frites et beaucoup d'autres encore.
Avec beaucoup de douceur et d'indulgence, vous observez ce qui se passe quand vous vous autorisez à simplement vivre ces vécus quand ils se produisent.
Et vous découvrez que pour la plus grande part ils ne sont pas si mauvais – tout du moins pas aussi mauvais que si vous viviez en en ayant peur – et qu'ils ne persistent pas longtemps sauf si vous les combattez. Si vous arrêtez de vouloir bannir certaines sensations de votre vécu, elles s'évacuent assez facilement, en quelques minutes ou même quelques secondes et cela en toute quiétude.
Envisagez-le ainsi : vous êtes maintenant dans un état de nervosité et vous refusez définitivement à cette nervosité le pouvoir de contrôler votre vie. Même chose pour la peur, l'ennui, l'impatience, la colère, l'indignation, la déconvenue, la dépendance et tout ce qui rend désagréable le fait d'être une créature humaine.
Il est difficile d'imaginer à quel point cette pratique peut être libératrice au fil du temps. La vie commence à apparaître plus sécurisante parce que vous étendez en permanence la gamme des expériences vécues. Plus vous accepterez de ressentir un sentiment donné quand il se produit, moins il vous occasionnera d'ennui à long terme.
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