Voilà pourquoi vivre en pleine conscience peut sembler ennuyeux
Par David Cain
Traduit par Hélios
En novembre, un article intitulé "En fait, ne vivons pas le moment présent" a eu un certain succès. L'auteur y raconte avec beaucoup d'humour comment elle a échoué à faire sa vaisselle en pleine conscience.
Vous l'admettrez facilement s'il vous est arrivé un jour de vouloir vous forcer à "faire un avec" une quelconque tâche domestique rébarbative comme trier les déchets pour le recyclage ou récurer le bac du lave-vaisselle. Même si l'idée de vivre en pleine conscience vous attire, le fait est que tenter de communier avec des expériences fastidieuses ou répugnantes se révèle souvent ni édifiant ni épanouissant.
L'article se veut surtout une réfutation sur un mode exaspéré de la doctrine New Age nous invitant à nous forcer à "vivre le moment présent". C'est une diatribe compréhensible et je pense qu'elle représente un sentiment de plus en plus partagé dans le monde du développement personnel : vivre en pleine conscience est ennuyeux.
Il est tout du moins ennuyeux de vouloir vivre en pleine conscience en permanence et il est ennuyeux de se l'entendre dire en permanence. Je reçois des messages exprimant des frustrations du même ordre venant de gens fatigués de chercher à trouver la paix à tout prix en pliant le linge ou en curant le bac à litière, même s'ils pensent toujours que c'est possible d'une manière ou d'une autre.
Comme l'écrit l'auteur, Ruth Whippman, "vivre en pleine conscience est supposé être une défense contre les contraintes de la vie actuelle, mais ça commence à donner l'impression fallacieuse d'une contrainte supplémentaire".
Et je suis d'accord : tenter de vivre constamment en pleine conscience ne fera qu'en faire détester la seule idée. Il devient presque offensant d'imaginer que le seul vrai bonheur réside dans une scrupuleuse communion avec les banalités du moment présent.
Cette approche implique pourtant une notion assez bornée (mais pas si rare) de ce qu'est la pleine conscience et des meilleures façons de l'introduire dans notre vie. La culture populaire tend à mal interpréter ce que c'est et l'exaspération de l'article est une réponse à ce défaut d'interprétation, et non à la définition qu'en donnent ceux qui la pratiquent.
À la différence de nombre de mes amis pratiquant la méditation, j'apprécie que cette notion de pleine conscience soit entrée dans la culture populaire. Une meilleure prise de conscience de cette merveilleuse capacité mentale ne peut être que bénéfique, même si cela veut dire qu'on aura dans un premier temps plus de gens qui se méprendront à son sujet.
Comme il existe aujourd'hui une demande pour cette vie en pleine conscience, elle s'accompagne obligatoirement d'une industrie peu convaincante, avec un tas d'offres plus ou moins alléchantes pour se joindre au mouvement. Un exemple typique de cette stupidité, c'est le sandwich vegan à la mode intitulé "un mayo en pleine conscience".
Cette industrie propose de tout, depuis des condiments au nom suspect jusqu'à des retraites de méditation de courant bouddhiste. Et aujourd'hui après avoir publié deux livres électroniques et un cours sur l'apprentissage de la méditation, je fais aussi partie de cette industrie. Je n'ai pas encore publié de recette de mayonnaise.
La récupération idéologique qui se pratique autour de toute nouvelle "arme secrète" spirituelle devient rébarbative. Vous vous sentez apathique ? Vous ne mangez pas assez de céréales complètes. Vous êtes triste ? Vous avez besoin de vitamine D. Vous manquez de paix intérieure en allant au travail ? Il est nécessaire d'être plus conscient du siège en plastique du bus bien ferme sous vos fesses.
Mme Whippman a écrit une série d'articles sur le même thème pour dénoncer ce phénomène. Il valent le coup d'être lus, au moins pour leur humour et leurs critiques méritées sur la culture du développement personnel en général. Malgré tout, les pratiquants de cette philosophie verront immédiatement que la pratique critiquée n'est pas la pleine conscience.
Le premier élément manquant
C'est presque un cliché aujourd'hui, mais vivre en pleine conscience n'est pas simplement prêter attention à ce qu'on est en train d'accomplir. Après tout, cogiter sur les actes et fantasmes de Don Draper [personnage de fiction dont l'identité reste mystérieuse] est tout autant vivre le moment présent que de laver la vaisselle ou sentir l'odeur du Palmolive. La pleine conscience n'est pas où se porte votre attention, mais comment.
Une définition simple de la pleine conscience, d'après Jan Chozen-Bays, est "une attention sans jugement ni critique". Ce n'est pas parfait non plus, mais elle inclut l'élément qui la différencie du type d'attention de tous les jours.
Cette qualité vitale de non-jugement n'est habituellement pas prise en considération dans la culture populaire. Porter son attention sans juger crée une orientation plus judicieuse et moins conflictuelle face au vécu de l'instant, impossible à réaliser si on s'oblige simplement à se focaliser sur ses mains tout en ignorant ce qui nous passe par la tête.
Quand on pratique la pleine conscience, on prête attention au vécu matériel et mental en étant implicitement d'accord pour au moins voir si on peut l'autoriser à être exactement ce qu'il est.
Vous découvrirez bien souvent que vous n'êtes pas capable d'être ouvert de cette manière. Nous avons une patience limitée, au début tout au moins, pour pratiquer cette sorte d'attention généreuse et indulgente. Voilà pourquoi on l'apprend grâce à une méditation quotidienne qui permet de pouvoir pratiquer ce genre d'ouverture, sous forme de temps brefs, par de simples et inoffensives expériences comme le ressenti de sa respiration.
Il vaut la peine de simplement faire plus souvent attention au côté matériel de la vie – sentir le plancher sous ses pieds quand on marche, remarquer le vacarme de la circulation – même en dehors de l'aspect non-jugement. La rumination nous rend malheureux et ne procure curieusement que de maigres réponses. Revenir plus fréquemment au côté concret de notre vécu peut empêcher son effet boule de neige.
Mais si vous pensez que le faire en continu vous apportera le bonheur (quand bien même si c'est possible continuellement), vous serez déçu et frustré. Vous trouverez la "pleine conscience" ennuyeuse, irréalisable ou inefficace.
Ce qui entraine en partie cette confusion vient de l'erreur des pratiquants expérimentés qui utilisent le concept de "pleine conscience" de manière plus libre, chose possible quand elle devient une seconde nature ajoutant cette qualité de non-jugement à notre prise de conscience du plancher et de l'éponge. Avec le recul, j'ai probablement fait ceci de nombreuses fois (même dans des articles sur le lavage de la vaisselle en conscience), ce qui peut avoir embrouillé les non-initiés au lieu de les aider.
Le deuxième élément manquant
Un autre point manque encore plus souvent que la composante de non-jugement, même parmi les pratiquants expérimentés : la pleine conscience n'est pas quelque chose à laquelle les humains sont naturellement doués.
L'évolution a doté l'esprit humain d'une très forte propension à évaluer, catégoriser et se parler à lui-même sur ses observations. La pleine conscience, c'est expérimenter une cessation ou une rémission de ces impulsions presque automatiques. Quand elles se produisent, vous pouvez les noter aussi et revenir à votre vécu habituel en lui permettant de se dérouler comme il se doit.
Comme la pleine conscience se démarque tellement de notre mode d'engagement habituel dans la réalité, gouverné par les impulsions, il est nécessaire d'être bienveillant envers nous-mêmes quand nous la pratiquons. Développer la pleine conscience c'est reconditionner graduellement quelques-unes de nos impulsions les plus spontanées. Si nous essayons de nous obliger à rester attentifs ou à arrêter de penser, nous prendrons le processus en grippe en un rien de temps.
La bienveillance est un point important sur lequel insister dans tout apprentissage correct de la pleine conscience. Il ne nous est pas toujours possible d'offrir ce genre d'ouverture à notre vécu, mais en expérimentant fréquemment (et en dédiant quelques moments à la méditation) nous nous reconditionnons progressivement à être moins réactifs et moins dépendants.
Dès que vous aurez acquis un peu d'expérience dans la pratique de la pleine conscience, vous saurez qu'il est absurde de s'attendre à rester dans la conscience pendant la totalité d'une pub à la TV, encore moins pendant une séance de lavage de vaisselle ou pendant toute votre vie.
Quand nous pratiquons des exercices de "vie en conscience" pendant les stages, nous nous servons de tâches quotidiennes qui demandent entre deux et dix secondes – tourner la clé dans la serrure, fermer une porte, ranger une casserole. Puis nous passons à autre chose. Il se peut que nous restions dans la conscience et curieux au début, au milieu et en fin de ces actes très brefs. Qu'ils soient plus prolongés et notre expérience se terminera par de la distraction hors du champ de notre conscience. C'est la nature du mental avec lequel nous œuvrons.
La bienveillance est la valeur primordiale qui nous permet de ne pas laisser tomber toute l'affaire. Quand nous sommes incapables de bienveillance, relâchons l'effort et revenons-y plus tard.
La pleine conscience ne semble pas si ennuyeuse si nous nous reconnaissons comme des créatures plutôt impulsives et impatientes qui aimons forcer les choses. Nous cherchons toujours plus à maîtriser notre vécu sans jamais y réussir et nous souffrons chaque jour de ces impulsions sous forme de stress, de haine, de lassitude et de manque. Pratiquer la pleine conscience, c'est apprendre, avec le temps qui passe, ce que veut dire ne pas mordre à l'hameçon.
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